Une vie d’apparat

Le truc en dessous c’est le sac de mon iPad. Les objets ont moins tendance à se perdre dans des sacs. Où c’est seulement chez moi?

Le truc en dessous c’est le sac de mon iPad. Les objets ont moins tendance à se perdre dans des sacs. Où c’est seulement chez moi?

Je relisais ces derniers jours These Old Shades de Georgette Heyer. Si tu ne connais pas Georgette, elle a écrit des dizaines de livres, souvent inspirés de Jane Austen, mais beaucoup plus léger. C’est de la littérature de plage un peu vintage, un truc à tenter dans le texte, c'est facile à lire. These Old Shades se passe soit-disant à l’époque de Louis XV. Je dis soit-disant, il y a beaucoup d’incohérences, genre la couleur “puce” revient très souvent. Cette couleur est une invention de Marie Antoinette qui voulait des toilettes simples, donc “puce” ça n’est pas possible sous Louis XV. L’anachronisme  coloré ça ne passe pas du tout avec moi. Elle y parle du lever du roi, ça m’a donc fait faire des recherches. Je me sers de mon téléphone pour faire des recherches maintenant que toute l’information est à portée de pouce. Je suis bizarre, je sais. Le lever du roi, c’est quand des courtisans l’accompagnaient quand il se vêtait, puis s’ébaudissaient devant le roi absorbant son bouillon du matin. Moi, tu me dis ça, je vois une version moderne avec une dizaine de selfie tous les matins #leroienslip, plus du food blogging #bouillondepoule. De Louis XIV à Louis XVI, ils auraient tous adoré.

Un hérisson beau comme un paon.

Un hérisson beau comme un paon.

Cette année pendant que je me consacrais à adapter ma famille à une vie Européenne, à réparer tout ce qui avait été abîmé dans le déménagement, et que je travaillais avec une de mes entreprises de DIY préférées, j'ai noté que le perfectionnisme s’accentuait sur Insta, Facebook,  sur tous les réseaux sociaux. Tous mes copains étaient devenu photographes, tout ce qui était montré était parfait. Souvent, ceux qui se sentaient inconfortables avec ça se sont tus. Moi, j’étais  très occupée à retrouver des vis de 6cm de long et 8mm de circonférence pour remonter le lit, et de la colle pour mon tansu ruiné, donc je n’ai pas réagi #autchozafaire. 

Nous  vivons dans un monde d’apparat. Tout doit pouvoir être montré, depuis le petit déjeuner  #morningslikethat jusqu'au maquillage quotidien #makeupoftheday, en passant par l’inévitable #selfie. Tu vis dans un roman de Georgette Heyer, dans un monde perpétuel de présentation de débutantes et de lever du Roi. Sauf que tout le monde est une débutante, et le roi. On montre, on cherche l’approbation, on juge, on like. Le jugement est terrifiant. Des vies sont faites ou défaites sur un commentaire. Il ne manque que la tabatière et les manchettes en dentelle. Instagram, ou les photos étaient autrefois jaune-orange et automatiques, est tellement devenu parfait qu’il se vante maintenant d’être #nofilter.


Ça ne me gênait pas trop jusqu’ici. J’ai eu une éducation catho très stricte. C’est complètement parti à vau-l’eau, ne vous faites aucune illusion. Mais cela m’a donné l’habitude d’être constamment surveillée, dans les moindre détails. J’ai appris très tôt à ne montrer que ce qui m’arrange, aucun détail ne portant à critique. Je sais donc poster sans m’exposer. Il n’y a que la jalousie qu’on ne peut pas anticiper, mais bon, j’ai pris l’habitude de virer les coms passifs-agressifs.
Je suis aussi une artiste, et le quotidien est ma première inspiration.  Une artiste qui n’engage pas est une artiste morte. Il faut montrer, et du joli. Il m’a fallu un petit temps pour me réveiller. Un certain professionnalisme c’est bon pour une artiste mais tout le monde n’est pas artiste. C’est une profession, pas un devoir. On n’a pas tous quelque chose à vendre. On a quelque chose à partager, c’est différent.

Je ne suis pas très fan des #selfie. Par contre j’aime beaucoup les #shelfie, les selfies d’étagères, qui en disent beaucoup plus sur leur propriétaires que les autoportraits. Là dessus, un badge fait par mon fils, un portrait fait par ma grand-mère…

Je ne suis pas très fan des #selfie. Par contre j’aime beaucoup les #shelfie, les selfies d’étagères, qui en disent beaucoup plus sur leur propriétaires que les autoportraits. Là dessus, un badge fait par mon fils, un portrait fait par ma grand-mère Jane Jaquin, un début de collection d’objets mécaniques super utiles sans piles, calendrier Flow, etc.

Depuis quand on est tous censé être parfait dans des intérieurs parfaits avec des enfants parfaits et le petit chat itou? Je trouve ça dangereux. Tout le monde n’est pas beau, tout le monde n’a pas un intérieur très lisse et glorieux comme le Trianon, et de jolis enfants. Ça ne nous empêche pas de les aimer, heureusement! Et ça ne devrait pas nous empêcher de partager, surtout avec nos amis, qui ont aussi des enfants pas forcement parfaitement beaux dans des intérieurs en super déco suédoise pas chère. Le but au départ des réseaux sociaux, ça n’est pas d’exposer mais de partager.  

Jusque très récemment, avoir un portrait de personnes aimées était plus important que d’avoir un portrait parfait des personnes aimées.

Souvenirs de voyage : tentacules de Santa Monica, Ganesha de Goa, tartine bretonne par Henriette Porson.

Souvenirs de voyage : tentacules de Santa Monica, Ganesha de Goa, tartine bretonne par Henriette Porson.

Souvent ces images de catalogue bien léchées m’inquiètent un peu. Des intérieurs sans photo de Mémé, sans le souvenir idiot ramené par un frangin de voyage, ni créations de Lego qui traînent, ça me rend assez suspicieuse de la vie de leur propriétaire. N’êtes-vous pas aimée, personne de bon goût?

J’ai des amis à LA, elle manager sublime, lui musicien/compositeur, deux enfants adorables, tu ne fais pas plus glamour (pas plus chou non plus). Leur salon très chic est envahi de jouets, la table a été redécorée au feutre et sur un coin de la fenêtre il y a une aquarelle pas forcément réussie de leur fils faisant ses devoir avec le mien. Pendant ce temps, d’autres gens pas très glamour essaient d’avoir l’air de rock stars. C’est le monde à l’envers.

Au delà du plaisir de la communication sur les réseaux sociaux, je pose la question : ai-je besoin de ne projeter qu’une image parfaite? Non, bien sur que non. Je trouve cela un peu dangereux. Personne n’est parfait. Je n’ai pas besoin non plus que tu sois parfait.e.

Je suis assez fan de l’imperfection chez mes amis : ils sont humains. Je préfère, toi qui es loin, avoir de tes nouvelles.